samedi 21 janvier 2012
Action comics 2
Il y a deux jours, une personne répondant au doux nom de "anonyme" a laissé un commentaire sur la différence de manière d'aborder le découpage d'une séquence d'action entre a BD et le cinéma. Ce qui a fait vagabonder ma pensée sur l'éternelle question de l'écoulement du temps. Le problème qui me fait toujours transpirer, c'est qu'il n'y a pas de mouvement en BD. Ainsi, lors d'une séquence d'action complexe, comprenant précisément beaucoup de mouvements, chaque information nécessite une case pour être transmise au lecteur. Toute la difficulté consiste donc à rendre la lecture fluide et absolument claire en un minimum de cases, à jouer avec le rythme, en variant les cadrages, les suspensions de temps sur des détails, la taille et la forme des cases, tout en prenant le moins de place possible dans le livre, puisque dans un format européen, je ne peux me permettre de diluer sur cinquante pages comme les japonais avec leurs deux informations par page. Ainsi, l'écoulement du temps de l'action est souvent disproportionné par rapport au rythme de lecture de la page. En d'autres termes, le lecteur tourne rapidement cinq pages de BD (c'est-à-dire beaucoup!), pour quelques secondes de temporalité du récit. Le comics américain apporte souvent une réponse particulière, qui consiste à ne montrer qu'une courte série de grandes cases, avec de grands pavés récitatifs qui racontent généralement tout autre chose, ce qui crée une intéressante double temporalité de lecture. Miller porte le système à son apogée. Le cinéma n'a pas ce type de problème. Bien sûr, certaines grandes séquences d'action découpées rigoureusement à l'ancienne, sans bla bla numérique, du genre des poursuites en camion ou en char d'assaut dans Indiana Jones 1 et 3, prennent beaucoup de temps à l'écran et ont dû casser la tête des story-boarders, mais l'apparition de la caméra portée (et aujourd'hui la caméra virtuelle) permet en fait de filmer de l'action frénétique en un seul plan, je pense à Shining, ou au formidable (faux) plan-séquence de 4 minutes dans Children Of Men, ce qui, en terme de découpage pur, est bien plus économique. Si l'on devait reproduire cette dernière séquence en BD en gardant le même nombre d'informations, elle exigerait un album complet de 80 pages. Hitchcock (Marnie) ou Fritz Lang (Secret behind the door) savaient même installer de puissants moments de pure tension en un seul long plan résolument fixe et pesant, par le simple mouvement des personnages dans le cadre et une pointe de musique. Très compliqué de trouver un équivalent en langage BD, puisqu'à chaque déplacement des protagonistes devrait correspondre une nouvelle case. Bon, à l'opposé, on peut se rassurer en se disant qu'un long plan contemplatif avec un personnage traversant un paysage est très chronophage au cinéma alors qu'une seule belle case suffit en BD. Ceci sans compter la puissance poétique et évocatrice du dessin. Bref, je lâche le fil de ma pensée. C'était juste pour souligner une fois de plus les énormes différences de langage entre cinéma et BD, contrairement à ce que l'on entend d'habitude. N'oublions jamais que le cinéma se subit, alors que la BD se lit.
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Merci pour cette réflexion.
RépondreSupprimerC'est vrai que l'agencement d'une scène d'action peut vite tourner au casse-tête quand on tient à conserver fluidité, clarté et impact dans un espace limité (cela-dit, une longue scène de dialogue ça peut s'avérer coton aussi). Il y a tant de paramètres qui entrent en compte! Mais quelle satisfaction aussi quand on arrive à dénouer le problème et que les solutions émergent! Que tout fini par s'enchaîner... Je débute encore vraiment dans ce média qu'est la BD, et ces problématiques narratives sont les choses qui m'occupent le plus en ce moment (peut-être même plus que le dessin). C'est très intéressant d'avoir un aperçu du cheminement des autres à ce sujet.
C'était moi l'anonyme! (qui s'est rendu compte aujourd'hui qu'avec une simple adresse gmail qu'il pouvait ne plus être anonyme). Cette remarque sur la différence BD / cinéma m'est venue suite à la lecture d'un passionnant livre d'entretiens de James Gray où celui disait qu'il n'avait eu absolument aucune difficulté à imaginer et à tourner l'impressionnante scène de poursuite en voiture dans "La nuit nous appartient". En gros en une après-mdi c'était mis en boite alors que j'imaginais une scène très complexe à tourner.
RépondreSupprimerEn tout cas, merci pour cette réflexion très intéressante sur la difficulté de rendre fluide une scène d'action en BD. (Je comprends aujourd'hui pourquoi Loisel & Letendre s'arrangent pour tuer leurs personnages en un seul coup d'épée dans "La Quête de l'oiseau du temps"...)
Merci beaucoup pour cette master class BD !
RépondreSupprimerMon œil sera plus attentif à ces détails qui font tout le charme de la BD et tout le talent des auteurs.
En plus de ça, j'en ressors moins bête, ce qui n'est pas pour me déplaire ; je m'amuse rarement à comparer cinéma et BD et la différence de traitement dans les deux.
Encore merci.
Merci également pour cette réflexion remarquable et fascinante.
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